Éditorial par Gérard-François Dumont
paru dans la revue Population & Avenir n° 736

Les pays de l’Union européenne appartiennent au même ensemble régional et partagent nombre de réglementations appelées, selon les traités européens, règlements ou directives  [1]. Cela pourrait se traduire par des niveaux équivalents de fécondité.

Or il n’en est rien puisque le pays à la fécondité la plus élevée enregistre un chiffre supérieur de 50 % au pays à la fécondité la plus faible. Comment l’expliquer ?

Une année donnée, le niveau de fécondité d’un pays est toujours le résultat de facteurs variés, dont certains sont de nature socioculturelle . [2]

Mais d’autres facteurs ne sont-ils pas de nature politique, dépendant des mesures décidées par les pouvoirs publics concernant l’accueil de l’enfant ?

À partir d’une étude d’Eurostat sur la protection sociale [3], il est possible de calculer le pourcentage des prestations « famille et enfance » rapporté au produit intérieur brut (PIB) de chacun des pays de l’Union européenne (UE) [4].
Une géographie de la fécondité se dégage.
  • Sept pays ont à la fois une fécondité supérieure à la moyenne de l’Union européenne (1,58 enfant par femme) et une part du PIB consacrée à des prestations familiales égale ou supérieure à la moyenne des pays de l’Union européenne. Ces pays se situent en Europe septentrionale (Danemark, Finlande, Royaume-Uni et Suède) ou en Europe occidentale (Belgique, France et Pays-Bas).
  • À l’inverse, seize pays (Bulgarie, Chypre, Croatie, Espagne, Estonie, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Malte, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ont une fécondité égale ou inférieure à la moyenne. Ces seize pays comptent tous des budgets de prestations familiales inférieurs à la moyenne de l’Union européenne. Ces pays se situent en Europe méridionale, en Europe centrale et orientale ou en Europe septentrionale pour l’un d’entre eux, l’Estonie.
Pour les quatre cinquièmes des pays de l’Union européenne, la corrélation est donc incontestable : les pays qui consacrent davantage aux prestations familiales ont la fécondité la plus élevée. Autrement dit, « les politiques familiales ont un impact positif et significatif sur la fécondité ». [5]
En revanche, ceux qui ont une politique familiale fort réduite comptent une fécondité plus faible.

Les prestations familiales et la fécondité dans les pays de l’Union européenne

Toutefois, la corrélation n’est pas validée pour deux types de pays.

  • L’Allemagne a des budgets de prestations familiales supérieurs à la moyenne de l’UE, mais une fécondité inférieure. Ses choix budgétaires, comme les allocations familiales dès le premier enfant, ne semblent pas optimisés. D’autres éléments, de nature culturelle, comme la faible compréhension de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale des mères, concourent à une fécondité affaiblie. L’Allemagne est sans doute une illustration de l’analyse suivante : « Les politiques familiales ne peuvent réussir que si elles sont conçues pour prendre en compte les caractéristiques de la société dans laquelle elles sont mises en œuvre ». [6]
  • Trois pays (Irlande, Lettonie et Lituanie) ont une fécondité supérieure à la moyenne de l’Union en dépit d’un budget de prestations familiales inférieur à la moyenne.[7]
    L’Irlande, pays où la foi catholique demeure importante, enregistre depuis plusieurs décennies une des fécondités les plus élevées d’Europe. Comme si ce pays, dans son inconscient collectif, ne voulait revivre l’hémorragie démographique, due à une forte émigration, qu’il a connue au milieu du XIXe siècle et d’où il résulte que son nombre d’habitants au XXIe siècle est encore inférieur à celui de 1840 [8].
    Les explications manquent pour la Lettonie et la Lituanie, mais les années précédentes ont montré que les estimations de la fécondité dans ces deux pays sont parfois imparfaites.

Au total, les budgets des prestations familiales ne sont pas neutres, puisqu’ils concourent à expliquer les niveaux de fécondité différenciés des pays européens.
Enfin, un autre élément conduit à confirmer la corrélation entre fécondité et politique familiale : le fait qu’elle ait pu être déjà constatée à plusieurs reprises précédemment.[9]

Notes

[1] Cf. Dumont, Gérard-François, Verluise, Pierre, Géopolitique de l’Europe : de l’Atlantique à l’Oural, Paris, PUF, 2016.

[2] Par exemple, l’année du dragon, qui revient tous les douze ans dans le calendrier chinois, est jugée comme un bon signe pour les nouveau-nés, engendrant un nombre de naissances plus élevé. Au Japon, l’année placée sous double signe du cheval et du feu est jugée négativement, engendrant alors une forte baisse des naissances ; cf. Dumont, Gérard-François, « Japon : les enjeux géopolitiques d’un “soleil démographique couchant” », Géostratégiques, n° 26, 1er trimestre 2010.

[3] n° 188/2017, 8 décembre 2017 ; données de l’année 2015.

[4] A l’exclusion de la Pologne pour laquelle les données ne sont pas disponibles.

[5] Selon la formulation de Fent, Thomas, Aparicio Diaz, Belinda, Prskawetz, Alexia, « Family policies in the context of low fertility and social structure », www.demographic-research.org/volumes/vol29/37, 13 november 2013.

[6] Fent, Thomas, op. cit.

[7] Ce pourcentage relativement faible peut aussi provenir de la façon dont il est calculé, en dépit des efforts conduits pour harmoniser les méthodes statistiques.

[8] L’Irlande comptait 8,2 millions d’habitants en 1840 (Reinhard, Marcel, Armengaud, André, Dupâquier, Jacques, Histoire générale de la population mondiale, Montchrestien, Paris, 1968, p. 684) et en compte 6,6 millions en 2017, Irlande du Nord comprise.

[9] Cf. Dumont, Gérard-François, « Politique familiale et fécondité en Europe », Population & Avenir, n° 681, janvier-février 2007 ; « La fécondité en Europe : quelle influence de la politique familiale ? », Population & Avenir, n° 716, janvier-février 2014.

 

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Dumont, Gérard-François, « Quelle géographie de la fécondité en Europe ? », Population & Avenir, n° 736, janvier-février 2018.