Éditorial par Gérard-François Dumont
paru dans la revue Population & Avenir n° 733
À l’heure où la France s’est donné un nouveau titulaire à la présidence de la république, il importe de se demander comment vont évoluer les textes législatifs régissant les territoires français.
En effet, l’avenir du pays ne dépend pas seulement des politiques régaliennes et macro-économiques, mais aussi de la gestion et des innovations territoriales que le cadre législatif peut faciliter ou étouffer.
Rappelons que le parlement français a, ce dernier quart de siècle, voté presque un texte par an [1] sur les questions territoriales [2]. Plusieurs scénarios sont donc possibles.
Un scénario prolongeant les lois antérieures
Le premier correspond à ce qu’on appelle en prospective le scénario conforme aux tendances lourdes. Les futurs textes, qu’il s’agisse de lois ou de textes d’application, prolongeraient la logique des lois antérieures, qui se résument à un dogme : « big is beautiful », tout ce qui est grand est magnifique, avec de grandes régions, de grandes métropoles fondées sur des normes géographiques discutables [3], de grandes intercommunalités [4] et une centralisation uniforme des compétences.
Dans ce cas, la logique va consister à organiser des élections directes aux intercommunalités, quitte à ce que certaines communes ne puissent plus avoir de représentants au conseil communautaire, comme cela sera possible en 2020, selon les textes votés, pour la métropole de Lyon ; les transferts de compétences envisagés par les lois pour l’échelle intercommunale seraient confirmés [5], voire amplifiés.
Le risque est une centralisation du pouvoir, son éloignement des citoyens et une montée de l’abstention, notamment dans les périphéries des intercommunalités, comme cela s’est produit dans des pays étrangers [6], risque qui ne pourrait être limité que par la mise en place des mécanismes de gouvernance subsidiaire.
Un scénario privilégiant les réalités locales
Le deuxième scénario consisterait à inverser la tendance des dernières lois territoriales. Il proviendrait de l’idée que plus une administration est importante, moins elle est efficace. Cela est par exemple attesté par le fait que plus la commune est petite et plus elle règle rapidement ses factures [7]. Les délais les plus longs se constatent dans les plus grandes intercommunalités et, plus encore, dans les régions. Plus précisément, les délais se sont allongés dans les régions, en raison des fusions, et dans les métropoles.
Bref, il s’agirait de considérer que l’intercommunalité, qui s’est déployée de façon pragmatique en France pendant 120 ans depuis la loi du 22 mars 1890 créant le syndicat intercommunal à vocation unique (Sivu), est devenue, sous l’emprise des lois votées de 2010 à 2017, une « application bornée de schémas décidés ailleurs à partir de raisonnements rationnels » [8].
L’autre argument consisterait à penser que les innovations territoriales si nécessaires seraient plus difficiles, voire entravées, lorsque les structures administratives sont trop lourdes. Un seul exemple : la commune de Loos-en-Gohelle, qui a métamorphosé son économie en devenant ville laboratoire en matière d’écoconstruction [9], aurait-elle pu y parvenir si l’État lui avait imposé, comme cela ressort des dernières lois, un cadre obligatoire d’intercommunalité ?
Ce deuxième scénario consisterait à annuler les textes fondés sur des logiques [10] directives venant d’en haut (top-down) pour privilégier la concertation et le dialogue selon une approche ascendante (dite bottom-up). Par exemple, il s’agirait de comprendre qu’on ne devient pas une vraie métropole par décret, qu’on ne fait pas de l’innovation territoriale par décret. Mais on peut l’étouffer par décret.
Un scénario « pause » ou un scénario évaluation et correction
Le troisième scénario, fréquemment évoqué par des dirigeants politiques, est celui de la « pause ». Selon lui, après la profusion de changements législatifs, les futurs gouvernements devraient avoir la sagesse de cesser de légiférer sur les questions territoriales. Ce scénario consisterait à maintenir sans modification l’application des lois antérieures et, donc, à les considérer comme satisfaisantes. Il est conforme à un manque de culture de l’évaluation assez courant en France.
Pourtant un quatrième scénario ne serait-il pas préférable, qui établirait un diagnostic précis pour amender les textes chaque fois qu’ils se traduisent par plus de bureaucratie, par des services plus coûteux, et par des risques pour la démocratie locale, qui est le socle de notre démocratie ?
Notes
[1] Dumont, Gérard-François, « Les conditions de l’attractivité des territoires », dans : Départements ruraux et développement économique, Aveyron expansion, Rodez, mars 2015.
[2] Avec une frénésie sans équivalent dans aucun pays démocratique. Citons, pour les années les plus récentes, la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) ; la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine ; la loi du 17 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral ; la loi du 7 août 2015 sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ; et la loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain.
[3] Cf. Dumont, Gérard-François, « France : la fin de l’urbanisation ? », Population & Avenir, n° 726, janvier-février 2016.
[4] L’intercommunalité est un regroupement de communes dans une structure légale en vue de gérer plusieurs fonctions, comme l’eau, les déchets, les transports, les infrastructures telles les piscines ou bibliothèques, l’économie, l’aménagement ou l’urbanisme.
[5] À rebours de deux bémols postérieurs à la loi NOTRe qui ont concerné certains offices de tourisme et certains ports de plaisance.
[6] Dumont, Gérard-François, « La démocratie se construit par le bas », Ensemble, inventons la commune du XXIe siècle, Paris, Association des Maires de France (AMF), 2016.
[7] Rapport annuel de l’Observatoire des délais de paiement 2016, Banque de France, mars 2017.
[8] Lettre d’information de Philippe Laurent, mars 2017.
[9] Cf. Population & Avenir, n° 714, septembre-octobre 2013. Voir d’autres exemples dans : Woessner, Raymond (direction), La France des marges, Paris, Atlande, 2016.
[10] Callois, Jean-Marc, « Le citoyen, grand oublié des réformes territoriales », Population & Avenir, n° 732, mars-avril 2017.
Pour citer cet article :
To cite this version :
Dumont, Gérard-François, « Prospective des lois territoriales en France », Population & Avenir, n° 733, mai-juin 2017.