Éditorial par Gérard-François Dumont
paru dans la revue Population & Avenir n° 732
Depuis un demi-siècle, la fécondité de la France varie à la hausse ou à la baisse selon les années, tout en restant au-dessous du seuil de simple remplacement des générations [1]. Comment expliquer de telles évolutions inverses ? Sont-elles aléatoires ou y a-t-il des éléments explicatifs ?
Examinons de façon détaillée l’évolution de la fécondité en France au regard des changements dans la politique familiale.
Depuis le passage de la fécondité de la France sous le seuil de 2,1 enfants par femme en 1975, onze étapes successives peuvent être différenciées.
1. La première est l’abaissement de fécondité pour la période 1975-1978. La loi sur l’interruption volontaire de grossesse est votée en 1975. Les engagements gouvernementaux promettant au Parlement d’améliorer la politique familiale ne sont pas concrétisés.
2. La fécondité remonte pour la période 1979-1982. Les décisions prises en 1978 marquent la priorité au 3e enfant et au jeune enfant tandis que le congé de maternité est porté à 16 semaines, et à 26 semaines pour le 3e enfant.
3. La fécondité rebaisse en 1982-1984. En 1982, le quotient familial est plafonné pour la première fois ; les prestations familiales sont réduites (moindre revalorisation, décalage d’un mois dans les versements).
4. La fécondité remonte en 1985 et 1986. L’allocation parentale d’éducation est créée en 1985, avec un montant faible.
5. La fécondité baisse nettement de 1987 à 1994. Le seul élément nouveau de la politique familiale est négatif car la création, en 1991, de la contribution sociale généralisée (CGS) ignore tout critère familial dans son calcul.
6. La fécondité remonte dans la période 1995-1996. En 1994, une loi vise à mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, avec plusieurs mesures : allocation parentale d’éducation étendue au deuxième enfant, son maintien en cas de travail à temps partiel, revalorisation de l’aide à la famille pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée, allocation de garde d’enfant à domicile, plan crèche, etc.
7. La fécondité stagne en 1996-1997 : le 15 novembre 1996, le Premier ministre Juppé annonce l’imposition des allocations familiales ; le 19 juin 1997, le Premier ministre Jospin annonce la mise sous conditions de ressources des allocations familiales.
8. La fécondité remonte dans la période 1998-2001. Deux changements structurels annoncés sont écartés. Le 6 mai 1996, le Premier ministre Juppé annonce renoncer à l’imposition des allocations familiales ; le 12 juin 1998, le Premier ministre Jospin supprime la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, qui aura été appliquée du 1er janvier au 30 septembre 1998, soit neuf mois, une durée qui est tout un symbole !
9. La période 2000-2003 marque une stabilité de l’indice de fécondité. La politique familiale se poursuit sans remise en cause. Avril 2003 voit l’annonce de mesures améliorant les prestations familiales et les services aux familles.
10. La fécondité s’élève à nouveau de 2004 à 2006 pour rester ensuite, jusqu’en 2014, toujours supérieure à 1,96 enfant par femme.
11. La fécondité baisse en 2015 et 2016. Précédemment, une loi de septembre 2014 a voté la mise sous condition de ressources des allocations familiales, portant atteinte au principe de solidarité sur lequel repose la sécurité sociale. D’autres éléments de la politique familiale sont rabotés [2] Dans tout pays, le niveau de fécondité et son évolution sont toujours le résultat d’un faisceau de facteurs [3].
Toutefois, ces onze étapes, sur plus de quarante ans, semblent indiquer une corrélation entre l’évolution de chacune des périodes et les décisions de politique familiale. Est-ce surprenant ? En réalité, comme toutes les mesures politiques, qu’elles soient économiques ou sociales, celles touchant la politique familiale exercent également des effets. C’est incontestable à l’examen des comparaisons européennes [4]. Il n’est pas donc étonnant que ça le soit également à l’examen de l’évolution de la fécondité en France.
Notes
[1] Dans une proportion nettement moindre que la moyenne des pays de l’Union européenne ; voir les données dans : Sardon, Jean-Paul, « La population des continents et des pays », Population & Avenir, n° 730, novembre-décembre 2016.
[2] Dumont, Gérard-François, « Démographie de la France : la double alerte », Population & Avenir, n° 727, mars-avril 2016.
[3] Comme les évolutions éventuelles dans le calendrier de la fécondité des générations.
[4] Dumont, Gérard-François, « La fécondité en Europe : quelle influence de la politique familiale ? », Population & Avenir, n° 716, janvier-février 2014.
Pour citer cet article :
To cite this version :
Dumont, Gérard-François, « La fécondité en France : des évolutions aléatoires ? », Population & Avenir, n° 732, mars-avril 2017.